La titrisation déconsolidante

Modèle et impacts opérationnels associés

Le marché de la titrisation a connu une baisse significative suite à la crise de 2008/2009. Cependant, la tendance s’est légèrement inversée depuis 2016 avec une reprise des opérations de titrisation rendue possible par la mise en place du label STS pour redynamiser ce marché atone.

En effet, l’évolution des critères Bâlois d’exigence en fonds propres, de maîtrise du ratio de solvabilité, ainsi que la recherche de nouvelles sources de financement stables sont les principales raisons qui expliquent l’intérêt que portent les banques aux opérations de titrisation et plus principalement celles dites déconsolidantes que nous allons traiter dans cette tribune.

Le label STS : Simples, Transparentes et Standardisées

La relance du marché de la titrisation est la conséquence du renforcement du cadre réglementaire impulsé par les instances européennes à travers l’union des marchés de capitaux de la commission européenne.

Parmi les mesures pour relancer et sécuriser la titrisation, la mise en place du label STS pour les opérations initiées à compter de 2019, vise à contrer les effets liés à certaines opérations de titrisation complexes et opaques qui ont eu un effet multiplicateur du risque systémique en 2008/2009.

La titrisation est une technique de financement consistant à céder des créances (crédits à la consommation, crédits immobiliers, dettes financières…) en contrepartie d’une émission, par un Fonds Commun de Titrisation, de titres cotées (dérivés de crédit) sur les marchés financiers.

Ces opérations, parfois complexes, rendent l’information asymétrique entre émetteurs et acheteurs notamment sur la qualité des actifs sous-jacents et c’est l’un des risques que tente de palier le dispositif STS.

Ce standard porte aussi bien sur les montages que sur les actifs sous-jacents et se décline suivant trois principes clairs, reposant sur environ 50 critères couvrant tous les aspects de l’opération de titrisation.

Ils peuvent être résumés comme suit :
•       La simplicité : privilégier les opérations simples ou peu complexes avec une homogénéité des actifs sous-jacents pour faciliter l’analyse des risques par les investisseurs
•       La transparence : renforcer l’information disponible pour les investisseurs et faciliter leur prise de décision.
•       La standardisation : faciliter la comparaison des transactions.

maîtriser son ratio de solvabilité en privilégiant le modèle originate to distribute

La reprise du marché de la titrisation, évoquée plus haut, se traduit également depuis quelques années, par un recours au marché c’est-à-dire par une augmentation des cessions des titres à destination du marché plutôt qu’à une conservation des titres par les banques émettrices.

Cela s’explique par les contraintes de plus en plus fortes d’exigence en fonds propres imposées par Bâle III et Bâle IV, contraintes qui peuvent limiter les banques dans leur capacité à octroyer des crédits. La titrisation selon le modèle originate to distribute (ou titrisation déconsolidante) apparaît donc comme une solution permettant aux banques de sortir leurs créances du bilan et donc de réduire leurs actifs pondérés et ainsi améliorer leurs ratios de solvabilité.

Les risques présents au bilan des banques sont ainsi transférés à des investisseurs de type assureurs, hedge funds ou encore asset manager …

Les titrisations dite originate to hold (ou auto-retenue), privilégiées après la crise 2008-2009, n’entrainent quant à elles, pas de diminution en fonds propres du fait de l’absence de transfert significatif du risque de crédit à un tiers mais permettent en revanche la constitution d’une réserve de liquidité par l’émission de titres éligibles aux opérations de refinancement de la BCE.

Ces liquidités assurent le renforcement des réserves de collatéral auprès de l’Eurosystème.

Le cycle d’une titrisation

En pratique : la décomptabilisation du bilan des actifs titrisés

La qualification du caractère déconsolidant d’une titrisation nécessite la réalisation de deux phases : une première phase de déconsolidation prudentielle des actifs auprès du régulateur suivie d’une seconde dite de déconsolidation comptable qui doit être validée par les commissaires aux comptes.

Pour être effective, la déconsolidation prudentielle doit respecter les critères de transfert significatif de risques, critères aussi bien qualitatifs que quantitatifs. Parmi ces derniers, la Banque doit céder au moins 50% du montant des parts subordonnées de l’opération (tranches mezzanine). À défaut de tranches mezzanine, la cession portera sur au moins 80% des parts juniors.

Quant aux critères qualitatifs, la notion de perte de contrôle de l’originateur sur les actifs titrisés, l’absence de recours des investisseurs sur le cédant ou encore le non-soutien du fonds par le cédant (les opérations devront être aux prix du marché entre l’originateur et le fonds) devront être respectés.

Concernant la déconsolidation comptable, celle-ci permet de s’assurer que la banque cédante ne conserve pas de liens significatifs avec le FCT créé et que les risques des crédits titrisés sont bien transférés. Le critère retenu par les commissaires aux comptes pour valider cette phase peut être la non-exposition de l’originateur aux revenus futurs de l’opération de titrisation.

Impacts organisationnels et système d’information

Comme tout projet, une opération de titrisation nécessite la mise en place d’une organisation spécifique avec une gouvernance structurée autour d’un sponsor au plus haut niveau et impliquant un grand nombre d’intervenants au sein de la Banque : les Risques, la Finance, l’ALM, le juridique…Et de nombreux acteurs externes : gestionnaire du fonds, agences de notation, avocats.

De plus, l’organisation d’instances dédiées va aussi permettre une communication fluide entre tous les acteurs : Comité de pilotage, comité TAC/NAC pour l’approbation des nouvelles transactions ou activités, et bien sûr les comités titrisations pour lever les problématiques plus opérationnelles.

En termes de délai, six mois peuvent être nécessaires pour un établissement ayant déjà réalisé une opération de titrisation, entre la phase d’échanges avec les agences de notation (phase de due diligence notamment), la phase de documentation juridique portant sur les contrats de l’opération et la phase d’échanges avec le régulateur. Dans le cas d’une première opération, le délai pourra être doublé.

En parallèle, la structuration du fonds ainsi que la mise à jour du système d’information sont également des étapes essentielles au bon déroulement des opérations de titrisation. Elles requièrent des équipes informatiques dédiées au système d’information qui gère les dispositifs de titrisation comme autant de produits à maintenir et faire évoluer en relation étroite avec le donneur d’ordre : le métier qui définit les caractéristiques des produits de titrisation et représente l’originateur auprès des acteurs externes (agences de notation, dépositaires, etc.)

Zoom sur la structuration du Fonds

Une fois les conditions – juridiques et contractuelles – de la titrisation validées par le régulateur, les investisseurs (Banques, Assureurs ou Fonds de pension), les agences de notation et la banque elle-même, le Fonds Commun de Titrisation spécialement créé pour l’opération doit être structuré à l’actif comme au passif, en respectant les conditions convenues entre les parties.

Il s’agit, à l’actif, de définir et de sélectionner les classes d’actifs (portefeuille de prêts), leurs volumétries, leurs maturités, à partir de critères d’éligibilité préalablement définis.

Le passif présentera le découpage des titres en tranches de différents niveaux de notation fonction de leur exposition au risque et leur degré de séniorité, notations fournies par les agences de rating.

Les impacts sur le système d’information

La mise à niveau du système d’information est également un prérequis aux opérations de titrisation. Cela implique une analyse de l’existant et l’identification d’axes de capitalisation avec un arbitrage dans le choix de l’architecture du système de refinancement cible.

Cette étape du projet va aussi nécessiter l’étude et la mise en qualité des données nécessaires aux opérations avec le cas échéant l’élargissement du périmètre des créances à mobiliser, ou l’intégration d’autres métiers dans le périmètre de l’opération, dans le cadre d’un groupe par exemple.

Les fonctions de collecte et de restitution sont aussi impactées avec l’optimisation de flux de données risque ou la mise en place d’un flux dédié contenant les créances à titriser à partir de critères d’éligibilité définies dans les systèmes de gestion.
Ces travaux doivent également permettre la mise à disposition des informations risques à des fins de reporting, notamment COREP.
Tous ces travaux impliquent bien évidemment fortement les équipes projets en lien avec les métiers.

Les impacts opérationnels liés au transfert de propriété des créances titrisées dans la cadre des titrisations déconsolidantes sont coûteux :  mises à niveau des données, des flux, du système d’information dans son ensemble. C’est l’un des freins des titrisations classiques pour les banques.

 

Focus sur les catégories et tranches des ABS

La titrisation synthétique

Les banques peuvent également se tourner vers les opérations de titrisation dites synthétiques dont l’objectif principal est l’externalisation des risques de crédit mais tout leur en permettant un allégement des fonds propres et donc une réduction de leur RWA.

Contrairement aux titrisations classiques, ces opérations n’entrainent pas de cessions d’actifs au SPV. Les banques vont donc conserver leurs créances, leurs actifs, générateurs de revenus et vont pouvoir en même temps gérer leur risque de crédit. La conservation des actifs est moins coûteuse opérationnellement qu’une cession à un SPV. De plus, elles permettent aux banques de maintenir leurs processus internes de suivi des portefeuilles d’actifs. La mise en place de l’opération est également facilitée et allégée : aussi bien dans la rédaction des documents juridiques avec des contrats standardisés que dans la durée de mise en place de l’opération de titrisation elle-même (3 à 4 mois contre 6 à 12 mois pour une opération classique).

La gestion du risque de crédit se traduit par le recours aux dérivés de crédit comme les credit default swap pour transférer les risques. Ces instruments fonctionnent comme des couvertures de crédit sur le portefeuille d’actif de la banque dès lors que le risque de crédit se réalise : la banque sera ainsi remboursée de la valeur nominale des créances en défaut, diminuée de leur valeur de recouvrement.

Avec l’avantage de l’externalisation du risque de crédit tout en permettant un allégement des fonds propres, ces opérations peuvent être une alternative aux titrisations classiques car moins longues, plus simples opérationnellement à mettre en œuvre et au final moins coûteuse.

À condition toutefois de bénéficier d’un cadre réglementaire sécurisé au même titre que celui concernant les titrisations classiques : l’EBA a ainsi préconisé dernièrement la mise en place des critères de simplicité, de standardisation et de transparence applicables spécialement aux titrisations synthétiques. Ce qui devrait permettre de relancer ce type de titrisation en réinstaurant la confiance des banques et des investisseurs. 

Titrisation déconsolidante
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