Typologie de corruption

Une approche pratique

Le département of Justice américain (DOJ) a publié en juillet 2020 ses nouvelles recommandations en matière de lutte contre la corruption. Des changements à la marge mais une approche pratique et pragmatique pouvant être utile aux entreprises françaises visées ou non par le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) aussi bien en France qu’à l’international.

La Direction Contrôle & Conformité de Harwell Management vous en propose une relecture avec un focus sur les typologies de corruption, sources indispensables d’information dans l’identification de vos risques de corruption et la définition de scénarios.

Qu’est-ce qui est couvert ?

Le FCPA s’applique uniquement aux paiements, offres ou promesses faites dans le but: (i) d’influencer tout acte ou décision d’un fonctionnaire étranger en sa qualité officielle, (ii) d’inciter un fonctionnaire étranger à faire ou omettre de faire tout acte en violation de ses fonctions légales, (iii) obtenir tout  avantage indu ; ou (iv) inciter un fonctionnaire étranger à user de son influence auprès d’un gouvernement étranger ou d’un instrument de celui-ci pour affecter ou influencer tout acte ou décision de ce gouvernement ou de cet instrument.

Le FCPA interdit les pots-de-vin dans le cadre d’activités commerciales ou pour obtenir un avantage commercial. Par exemple, les paiements de pots-de-vin versés pour garantir un traitement fiscal favorable, pour réduire ou éliminer les droits de douane, pour obtenir des mesures gouvernementales, pour empêcher les concurrents d’entrer sur un marché, ou pour contourner une exigence de licence ou de permis.

Que signifie « corrompu » ?

Pour violer le FCPA, une offre, une promesse ou une autorisation de paiement, ou un paiement, à un fonctionnaire doit être faite de manière « corrompue ». Comme le Congrès l’a noté lors de l’adoption du FCPA, le mot « corrompu » signifie une intention ou un désir d’influencer indûment le destinataire. Exemple :

  • Un courtier immobilier basé à New York a promis à un intermédiaire qu’il paierait un pot-de-vin de 2,5 millions de dollars – et en fait, 500.000 $ à l’intermédiaire en tant que paiement initial – à un fonctionnaire du fonds souverain d’un pays du Moyen-Orient afin d’inciter le fonds à acheter un complexe de bureaux de 800 millions de dollars appartenant au client du courtier. Cependant, à l’insu du courtier immobilier, l’intermédiaire n’a eu aucune relation avec le fonctionnaire étranger et a simplement conservé le paiement de 500.000 $. Même si aucun fonctionnaire étranger n’a effectivement reçu le pot-de-vin, le prévenu a été reconnu coupable d’avoir violé le FCPA.

Que signifie « tout ce qui a de la valeur » ?

Les pots-de-vin peuvent prendre de nombreuses formes et tailles. Le FCPA interdit « l’offre, le paiement, la promesse de payer ou l’autorisation de paiement de toute somme d’argent, ou offre, promesse de don ou autorisation de donner quoi que ce soit de valeur à » un fonctionnaire étranger.

A noter que ce qui pourrait être considéré comme un paiement modeste aux États-Unis pourrait être un montant plus important voir beaucoup plus important dans un pays étranger.

Les mesures d’application de la loi anti-corruption du DOJ et de la SEC se sont concentrées sur les petits paiements et les cadeaux uniquement lorsqu’elles font partie d’un comportement systémique ou de longue date qui met en évidence un système de paiement par corruption d’agents publics étrangers pour obtenir ou conserver des affaires. 

Les cas impliquent souvent des paiements en espèces ou virements parfois sous forme de « frais de consultation » ou de « commissions » accordées par des intermédiaires, mais peuvent également prendre la forme de dons, cadeaux, invitations, …

Paiements en espèces

La forme la plus évidente d’un paiement corrompu est le versement de grandes quantités d’argent. Dans certains cas, les entreprises ont conservé des fonds en espèces spécifiquement destinés à être utilisés comme pots-de-vin.  Par exemple :

  • Une société brésilienne qui était actionnaire d’un émetteur américain a développé et exploité une structure financière secrète qui visait à effectuer et à justifier des paiements corrompus à des fonctionnaires étrangers. Entre autres méthodes utilisées par l’entreprise, elle transférerait des fonds à des bureaux de change brésiliens (doleiros) qui retireraient les montants en espèces et les remettraient aux fonctionnaires.

Les paiements à des tiers

Le FCPA couvre les paiements effectués à « toute personne, tout en sachant que tout ou partie de cet argent ou chose de valeur sera offert, donné ou promis, directement ou indirectement », à un fonctionnaire étranger.

De nombreuses entreprises qui font des affaires dans un pays étranger retiennent les services d’une personne ou d’une entreprise locale pour les aider à mener leurs affaires. Bien que ces tiers puissent fournir des conseils tout à fait légitimes concernant les coutumes et procédures locales et peuvent aider à faciliter les transactions commerciales, les entreprises doivent être conscientes des risques liés à l’engagement d’agents ou d’intermédiaires tiers.

En voici quelques exemples :

  • Une institution financière a engagé à plusieurs reprises un agent commercial tiers pour conclure des affaires avec des institutions financières publiques libyennes, payant finalement à l’agent commercial plus de 90 millions de dollars de commissions. En fait, l’agent a utilisé une partie des paiements de commissions pour soudoyer des hauts fonctionnaires du gouvernement libyen afin de garantir le placement d’environ 3,66 milliards de dollars d’actifs auprès des institutions financières.
  • Aux Pays-Bas, une société d’énergie cotée en bourse s’est régulièrement engagée dans des liens avec des agents commerciaux tiers pour verser des pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers dans au moins cinq pays : Brésil, Angola, Guinée équatoriale, Kazakhstan et Irak.

Le guide FCPA mentionne plusieurs indicateurs utiles à la détection de pratiques potentiellement corruptives et liées à des tiers :

  • Des commissions excessives à des agents ou consultants tiers
  • Des remises déraisonnablement importantes aux distributeurs tiers
  • Des « accords de consultation » de tiers qui ne comprennent que des services décrits de façon vague
  • Un tiers qui exerce une activité différente de celle pour laquelle il a été engagé
  • Un tiers lié ou étroitement associé au fonctionnaire étranger
  • Un tiers intégré à la transaction à la demande expresse ou sur l’insistance d’un fonctionnaire étranger
  • Un tiers correspondant à une société écran domiciliée dans une juridiction offshore
  • Un tiers demandant le paiement sur des comptes bancaires offshore.

En cadeaux, voyages, divertissements et autres objets de valeur

Plus le cadeau est grand ou extravagant, plus il est probable qu’il ait été donné dans un but inapproprié. Les affaires d’application de la loi du DOJ et de la SEC ont impliqué des cas de dons de cadeaux importants (tels que des voitures de sport, des manteaux de fourrure et d’autres articles de luxe) ainsi que des cadeaux généralisés de petits articles dans le cadre d’un pot-de-vin. En voici quelques exemples :

  • Une société d’énergie cotée en bourse aux Pays-Bas a notamment offert des cadeaux extravagants tels que des invitations à des événements sportifs, le versement d’argent de poche, le paiement de frais de scolarité ou l’expédition de véhicules de luxe à des agents publics étrangers.
  • Un accusé a offert à un agent public du gouvernement des frais d’adhésion dans un ‘country club’, ainsi que des frais d’entretien ménager, le paiement des factures de téléphone portable, une automobile d’une valeur de 20.000 $ et des services de limousine. Le même fonctionnaire a également reçu 250.000 $ par l’intermédiaire d’un agent tiers.
  • Une société a payé des millions de dollars à divers tiers, dont une partie a été utilisée pour payer des cadeaux, des voyages et des divertissements, y compris des voyages à l’étranger, pour des agents publics du gouvernement chinois afin de gagner des affaires avec des sociétés de télécommunications publiques. La société a également dénaturé les paiements pour ces voyages dans ses livres et registres internes.
  • Une société de télécommunication basée au New Jersey a dépensé des millions de dollars pour plus de 300 voyages pour des fonctionnaires du gouvernement chinois, apparemment pour inspecter les usines et les former à l’utilisation de l’équipement de la société. En réalité, les fonctionnaires ont passé peu ou pas de temps à visiter les installations de l’entreprise, mais à visiter des destinations touristiques comme Hawaii, Las Vegas, le Grand Canyon, les chutes du Niagara, Disney World, Universal Studios et New York coûtant entre 25.000 $ et 55.000 $ par voyage. Certains des voyages ont été caractérisés comme des « inspections d’usine » (“Factory inspection’) ou « Formations » (‘Training’).
  • Une compagnie a donné aux fonctionnaires du gouvernement de 500 $ à 1.000 $ par jour en argent de poche et a payé tous les frais d’hébergement, de transport, de nourriture et de divertissement. La société a omis d’enregistrer ces dépenses ou les a incorrectement enregistrées comme « honoraires de consultation » (‘Consulting fees’) dans ses livres et registres d’entreprise.
  • Un accusé a payé des factures personnelles et fourni des billets d’avion à un cousin et à un ami proche d’un agent public étranger ayant usé de son influence pour l’obtention de contrats.
  • Une filiale de Hong Kong d’une banque basée en Suisse a été engagée dans un programme d’embauche et de promotion d’enfants de fonctionnaires chinois afin de gagner des contrats d’affaires avec ces fonctionnaires.

Le guide FCPA met l’accent sur le fait qu’un programme de conformité efficace doit notamment disposer de directives et de processus clairs et facilement accessibles pour les cadeaux offerts par les administrateurs, dirigeants, employés et agents de l’entreprise.

Dons de bienfaisance

Le FCPA n’interdit pas les contributions caritatives ni n’empêche les sociétés d’agir comme des entreprises engagées et citoyennes.

Les entreprises, cependant, ne peuvent pas utiliser le prétexte de contributions caritatives pour acheminer des pots-de-vin à des agents publics. En voici quelques exemples :

  • Une entreprise pharmaceutique a versé des dons à un petit organisme de bienfaisance local pour des restaurations de châteaux dirigées par un fonctionnaire étranger afin de l’inciter à favoriser de futurs contrats d’affaires avec l’entreprise.
  • Une société pharmaceutique établissait que les paiements n’étaient pas considérés comme des contributions caritatives mais plutôt comme des « cotisations » que la filiale devait payer pour obtenir l’aide d’un agent public.

Il apparaît évident que des diligences raisonnables et des contrôles appropriés sont essentiels pour les dons de bienfaisance. En général, l’adéquation des mesures prises pour prévenir l’utilisation abusive des dons de bienfaisance dépendra d’une analyse fondée sur les risques et des faits spécifiques à portée de main.

En conclusion, ces pratiques corruptives nous rappellent l’importance des programmes de conformité et leur variabilité en fonction des besoins, de la taille des entreprises et des risques spécifiques associés à leurs activités. 

Chaque programme de conformité doit être adapté en suivant les principes mentionnés par le FCPA et repris dans les piliers de la Loi Sapin 2 sur la lutte contre la corruption notamment : engagement de la haute direction, politiques clairement articulées contre la corruption, code de conduite, cartographie des risques, évaluation des tiers et diligence, formation et conseils continus, incitations et mesures disciplinaires.

Les cas présentés ne sont pas exhaustifs et les pratiques corruptives profitent souvent des évolutions technologiques pour poursuivre leur chemin. Malgré des dispositifs jugés pourtant efficaces, une entreprise pourrait faire face à un cas de corruption par méconnaissance ou négligence. C’est pourquoi nous rappelons l’importance d’ajuster régulièrement les dispositifs de maîtrise des risques par l’identification de nouveaux scénarios ou typologies de corruption.

Typologie de corruption
Anacredit

Nos Experts

Yves LAZERGES
Directeur de la Practice Conformité & Contrôle

Apolline BUCHLER
Senior Manager

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