Méthodes ABC/ABM
Des outils de mise en œuvre de stratégie de la Banque toujours d’actualité ?
Apparue il y a plusieurs décennies au sein du secteur industriel puis déployée sur la majeure partie du secteur bancaire, la méthode ABC a connu son heure de gloire mais semble désormais moins exploitée qu’auparavant au sein de l’industrie financière. Les limites endogènes de ce modèle expliquent-elles à elles seules le moindre recours à cette méthode d’analyse de la formation des coûts ? Quelles seraient les solutions émergentes qui permettraient un retour en grâce de la méthode ABC au sein des Banques ?
La méthode ABC apparaît dans les groupes industriels internationaux à la fin des années 80, à l’instar de General Electric, pour réduire leurs coûts centraux dits “indirects” ou “Overhead”.
Cette méthode basée sur l’analyse des leviers économiques des fonctions support de ces groupes, est aujourd’hui déployée dans l’ensemble des secteurs y compris les groupes bancaires. Elle nous permet d’identifier et d’exploiter de façon dynamique les pistes d’économies des coûts centralisés de la banque tels que les coûts des DSI, Direction des Moyens de Paiement et Marketing Stratégique.
A partir des années 2000, la méthode ABC a également évolué pour répondre aux besoins d’évaluation de la performance du Management Opérationnel. La facturation des Overhead au moyen de clés d’activité a permis de mesurer les rentabilités économiques par Business Line, risque client par activité, rentabilité d’un client durant son cycle de vie par secteur etc. On parle alors d’ABM qui est une évolution de la méthode ABC.
Cependant, la méthode ABC/ABM n’a pas toujours apporté les résultats attendus. Par conséquent, après en avoir revu leurs caractéristiques, nous aborderons les principaux freins et idées reçues, ainsi que les prérequis à une mise en œuvre réussie de l’ABC/ABM.
ABC ou Activity Based Costing method, Accounting and Management: A Field Study Perspective, R. S. Kaplan & W. Bruns, 1987.
ABM ou Activity Based Management, Cost & Effect: Using Integrated Cost Systems to Drive Profitability and Performance, R.S. Kaplan & R. Cooper, 1997.

ABC/ABM, une méthode au service du Contrôle de gestion stratégique
Les méthodes ABC/ABM sont des outils développés par le Contrôle Gestion. Ils demandent un investissement IT, process et humain significatifs, afin de collecter les données quantitatives et qualitatives permettant d’identifier la création de valeur des fonctions support (cf étape 1, Figure 2).
L’allocation des coûts vers les différents départements de la banque se fait par le biais de “re-facturation” ou de “facturation interne”, cohérentes avec la consommation qui en est faite.
Par exemple, grâce à la collecte de données issues des référentiels IT applicatifs et infrastructure, il est possible de facturer les coûts opérationnels (Run) de la DSI par métier utilisateur des applications, et facturer forfaitairement les projets réglementaires et d’investissements tels que la mise en œuvre d’Instant Payment.
Ces deux modes de facturation, les inducteurs et forfaits, sont établis dans le cadre d’une gouvernance des clés d’allocation : les départements de la banque (utilisateurs, clients de la DSI), la DSI (fournisseur des services IT auprès de ces départements) et leurs Contrôles de Gestion respectifs qui les assistent dans la validation de la fiabilité du modèle au regard des objectifs de profitabilité et d’économies recherchés.
Le périmètre d’application de la méthode ABC concerne des coûts de ressources centralisées et dédiées au fonctionnement des “Business Units”. Cela peut correspondre à des ressources issues des Fonctions Support dédiées aux métiers de la banque e.g. DSI, RH ou des coûts de ressources utilisées par les centre de profits et gérés par la Direction du département e.g. “Coûts des Moyens de Paiement centralisés” pour la Banque de Détail.

1 Pré-requis
2 ABC/ABM Définition des principes d’allocations et inducteurs/ clés
3 ABC/ABM Allocation des indirects, rentabilité économique
4 Indicateurs de performance issus de l’ABC/ABM
ABC/ABM : freins et idées reçues
La vision d’un projet IT (centre de coût) vs. vision stratégique de pilotage du Groupe (gouvernance partagée)
La mise en œuvre des méthodes ABC/ABM est souvent présentée sous un angle IT, car elle demande un investissement IT bien spécifique et financièrement coûteux : l’implémentation d’un ou plusieurs ERP pour collecter des données économiques non financières très variées et l’acquisition de serveurs assez puissants pour gérer le stockage et la puissance de calcul des allocations. Ce volet technique complexe éloigne parfois le centre de décision du Management et sa vision stratégique vers la Finance et la DSI (arbitrages et décisions budgétaires). Ceci se fait au détriment des choix et décisions en termes de qualité et niveau de collecte des données, avec des outils trop complexes à faire évoluer en cas de changement de stratégies ou de nouvelles attentes de pilotage des régulateurs ou des investisseurs.
Or, la méthode a été fondée par le Contrôle de Gestion pour répondre à un besoin de pilotage du Management (coûts et performance). Elle permet de mesurer économiquement les activités et faire un budget en lien avec la performance attendue, dans un contexte économique complexe, influencé par des événements externes dont les impacts sont difficiles à mesurer et anticiper.
La mise en œuvre et les choix des principes et inducteurs (étape 2, Figure 2) engagent le Management, la DSI et les métiers/ fonctions Support concernés par la facturation interne de leurs coûts. Le Contrôle de Gestion joue alors le rôle d’expert pour assister chacune des parties.
Le souci du détail dans le choix des inducteurs vs. un coût de traitement trop élevé à maintenir
La collecte des données économiques et financières, placées au cœur de l’écosystème ABC/ABM, rencontre toutefois des limites. Tout d’abord en termes de capacité du système : certaines données sont mesurées hors système d’information de la banque (source GIE Carte Bancaire, partenaire en charge du traitement des chèques, données qualitatives etc.), et demandent des contributions humaines significatives. Ensuite, le processus de collecte et d’archivage de ces données devient très complexe à exécuter à mesure que ces données proviennent de sources très variées, soumises à des timings de production différents et dont les contrôles sont trop complexes à exécuter.
L’enjeu est donc de réduire le spectre des données à collecter, par le respect de principes intangibles :
1) Sélectionner des données disponibles, mises à jour en continu (quotidiennement, mensuellement, trimestriellement) et planifiées lors des phases budgétaires
2) Prioriser la collecte des données permettant d’allouer 80% – 90% des coûts concernés. En effet, les données relatives aux derniers percentiles ne sont pas suffisamment significatives pour modifier l’allocation entre les métiers.
3) Engager les métiers de la banque dans la collecte des données qualitatives et externes telles que la source GIE Carte Bancaire : ce sont eux les experts qui en garantissent la fiabilité,
4) Etablir une gouvernance tripartite métier de la Banque / Fonction Support-Centralisées / Contrôle de Gestion, pour maintenir et faire évoluer les clés au gré des évolutions de la stratégie.
ABC/ABM, un outil au service de la vision stratégique
La méthode ABC/ABM nécessite une bonne connaissance de l’organisation, des relations entre les Métiers, les Fonctions support et centrales pour comprendre la formation des coûts, et ce dès le cadrage du projet. Ainsi, le Contrôle de gestion s’inscrit dans une démarche transversale.
En effet, la formation des coûts par client intéresse différents départements de la banque, que ce soit la Finance pour le pilotage stratégique, les métiers opérationnels (équipes commerciales) ou les Fonctions supports (Risque, Finance).
La mise en œuvre de la méthode ABC/ABM nécessite donc de mobiliser des ressources parmi les parties prenantes pour identifier les leviers économiques permettant d’allouer les coûts.
Les principaux bénéfices sur le fonctionnement de la banque sont les suivants :
– Un accès à l’information mutualisé, régulier avec des niveaux de détails adaptés aux utilisateurs au travers d’un SI centralisant les allocations,
– La mise en place d’une mesure de la performance commune, soutenant les collaborations entre métiers et métiers/ fonction support pour améliorer ces “métriques”,
– La déclinaison de la vision stratégique en plans d’action dont les impacts se mesurent au travers des communications des KPI et “weighted scorecards”.
La méthode ABC/ABM permet ainsi de fluidifier les échanges entre les différentes parties, d’articuler les objectifs opérationnels et financiers, et d’améliorer le pilotage stratégique global de la banque.
ABC/ABM et transformation du Contrôle de Gestion
Lors des projets relatifs à la mise en œuvre d’allocations par méthode ABC/ABM lancés par les groupes du secteur bancaire et du service financier, les demandes d’amélioration du pilotage de la performance peuvent être très variées : performance des fonctions support, analyse de la rentabilité économique des métiers, mesure d’impact des leviers de croissance (investissements, ressources externes, campagnes marketing) etc. Cette méthode permet d’y répondre car elle réunit les différentes parties concernées et les amène à collaborer.
Afin de la mettre en œuvre, les nouvelles méthodes type AGILE et Design Thinking pour conduire ces projets sont des bonnes solutions pour répondre à ces problématiques. Ces approches permettent de trouver des solutions innovantes, durables dans un contexte de timing et ressources limités :
– Identification des parties prenantes à engager et atelier sur les personas / profils d’usagers type (réels ou fictifs) avec le Contrôle de Gestion et le Product Owner,
– Conduite d’audit de l’existant pour dégager les problématiques,
– Animation d’ateliers “Storymap” pour déterminer les étapes fonctionnelles, le timing de réalisation et lancer les chantiers et “UserStory” pour construire la solution technique.
La mise en place d’un projet de méthode ABC/ABM renforcée par ces nouvelles méthodes de travail impulse de fait une amélioration des process et des modes d’organisation. Le Contrôle de gestion devient ainsi un acteur-clé d’une conduite du changement approfondie.
Durant la phase projet, le Contrôle de Gestion devient un acteur central dans la définition des principes directeurs, des règles de calcul et du prototypage des allocations.
Ensuite, après la phase de mise en production, il accompagne les métiers dans le pilotage de leurs activités, en leur donnant accès, dans des délais plus courts, à leurs performances économiques, à des analyses plus précises et à une projection budgétaire de celles-ci. Il anime la gouvernance des clés, les principes directeurs de la facturation et la rentabilité, tout en les faisant collaborer. Il devient ainsi un interlocuteur aidant à la prise de décision et à la gestion du risque opérationnel (mesure, budgétisation et analyse des KPI/ KRI).
La méthode ABC/ABM a longtemps été l’outil des multinationales dont la limite était la capacité d’investissement IT : achat de serveurs, installation coûteuse d’ERP, dépendance à l’éditeur et sa capacité à faire évoluer celui-ci.
Ces dix dernières années, la donne a changé : il existe à présent une offre d’ERP web based plus concurrentielle, facile à installer, des solutions Cloud offrant un hébergement serveur adapté aux besoins du projet et moins coûteux à maintenir que les serveurs physiques. La technologie de Big Data pourrait aussi permettre de stocker et d’historiser les données pour l’élaboration des indicateurs. Cette méthode devient accessible aux ETI et groupes internationaux de taille moyenne, confrontés à une organisation complexe.
Aussi, bien que le ticket d’entrée sur un projet ABC/ABM soit élevé en termes de temps, de disponibilité et d’implication des équipes, les impacts non financiers ne sont pas négligeables. ABC/ABM se présente alors comme un facilitateur du change management de la banque.