Bâle IV et Risque Opérationnel
Un chantier réglementaire important pour une refonte structurante du dispositif de risques opérationnels
En décembre 2017, le Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire (BCBS) publie un texte proposant une revue des exigences réglementaires des risques pondérés (RWA) et la mise en place d’un plancher de capital.
Ce texte complète le dispositif Bâle III paru en juin 2011. En effet, en matière de ratio de solvabilité, les apports de Bâle III, applicables depuis 2013, ont porté sur son numérateur (renforcement quantitatif et qualitatif des fonds propres), alors que très peu de modifications ont été apportées à son dénominateur (RWA).
Ces propositions finalisent un travail initié dès 2012 avec pour objectif de mettre à jour le cadre réglementaire de Bâle III. Ainsi, ces propositions, considérées comme la finalisation de la réforme Bâle III pour les régulateurs, sont clairement considérées comme une nouvelle vague réglementaire pour l’industrie financière, d’où son appellation Bâle IV.
Cela est d’autant plus vrai que les impacts, au regard des textes publiés jusqu’à maintenant seront importants et pas uniquement sur le plan financier.
Bâle IV prévoit de revoir en profondeur la méthodologie de calcul de tous les risques, et plus particulièrement le risque opérationnel, avec des impacts variables pour les établissements financiers.
Un nouveau jalon dans l’histoire bâloise
Les travaux du Comité de Bâle concernent principalement la manière dont sont calculés les actifs pondérés par les risques présents au bilan des banques. Ces derniers constituent le dénominateur du ratio de solvabilité.
Si Bâle III a revu la définition du numérateur (les fonds propres éligibles) et le niveau minimal du ratio, rien ou presque n’a été entrepris pour adapter le dénominateur aux contraintes auxquelles doivent faire face les banques concernant les actifs pondérés par les risques. Ces derniers restent alors calculés sur la base des principes de Bâle II. L’objet de cette réflexion porte sur la nécessité ou non de les augmenter du fait des nouvelles règles. En effet, plus le dénominateur du ratio de solvabilité est important, plus il est en conséquence faible et doit être compensé par une réduction des expositions ou une augmentation des fonds propres prudentiels.
La refonte porte sur :
– L’ensemble des risques usuels, crédit, marché et opérationnel
– L’introduction du nouveau risque de taux.
– Une méthode standard pour calculer les RWA
– Une méthode avancée utilisée par certains établissements, généralement les plus important pour un traitement surmesure de leurs expositions
L’objectif des régulateurs avec cette refonte est de rendre ces RWA plus représentatifs des risques réels mais aussi plus comparables d’une banque à l’autre.

La fin annoncée des modèles dans les Risques opérationnels
Risques de catastrophes (pandémie), fraudes internes, processus de conformité défaillants, pannes informatiques… les banques sont susceptibles d’essuyer des pertes du fait d’incidents opérationnels plus ou moins graves. Depuis Bâle II, ce risque est couvert de manière spécifique, via le calcul de RWA adaptés, soit en méthode standard, soit via des modèles internes.
Cette dernière option, retenue de manière très hétérogène parmi les grandes banques européennes, ne sera vraisemblablement plus proposée sous Bâle IV. La suppression de la méthode avancée Advanced Measurement Approaches (AMA) a été actée par le Comité dans un document publié le 4 mars 2016. Les approches standards plus simples et homogènes seront donc privilégiées.
La nouvelle méthode standard Standardised Measurement Approach (SMA), pénalisera les grandes banques et prendra en compte les pertes passées au titre du risque opérationnel, avec un impact important pour les établissements impliqués dans des affaires de fraude de trading, d’infraction des règles de l’OFAC aux États-Unis ou encore dans le scandale des PPI au Royaume-Uni. Leur charge en capital pourrait jusqu’à doubler lorsque d’autres, qui ont enregistré peu de pertes dans le passé, pourraient voir leur charge diminuer sensiblement.
Une mesure différente du risque
Le risque opérationnel est impacté par une approche standard unique pour le calcul des exigences de fonds propres.
Les méthodes standards actuelles d’évaluation des fonds propres au titre du risque opérationnel, comprenant les approches par indicateur de base (BIA) et standard (TSA), ont montré des lacunes lors de la crise (sous-estimation des risques et des montants afférents à mobiliser notamment).
La méthode AMA comporte une complexité intrinsèque puisqu’elle repose sur des modèles internes spécifiques développés par chacune des banques. Ceux-ci sont donc difficiles à auditer pour le superviseur et introduisent un manque de comparabilité entre les établissements financiers.
Le Comité de Bâle propose la suppression des trois approches actuelles et l’introduction d’une nouvelle approche standard unique en remplacement, la méthode SMA.
La nouvelle approche standard se fonde sur les éléments suivants :
– L’indicateur d’activité (Business Indicator, BI) pour mesurer le risque opérationnel reposant sur les états financiers ;
– La composante Indicateur d’activité (Business Indicator Component, BIC) calculée en multipliant le BI par un ensemble de coefficients marginaux établis sur une base réglementaire ;
– Le multiplicateur des pertes internes (Internal Loss Multiplier, ILM), facteur fondé sur les pertes moyennes historiques d’une banque et le BIC.
Internal Loss Multiplier = Ln[exp(1) – 1 + (Loss Component / BI Component)]
Loss Component = (7 x Average total annual loss) + (7 x Average totalannual loss only including loss events above 10 M€) + (5 x Averagetotal annual loss only including loss events above 100 M€)
L’idée principale étant que le risque opérationnel s’accroît de plus en plus rapidement avec le revenu de la banque et que les banques ayant historiquement pâti de pertes plus importantes imputables au risque opérationnel sont jugées plus susceptibles de subir des pertes liées au risque opérationnel à l’avenir.
Impact chiffré :
Les EFP (Exigences de Fonds Propres) au titre du risque opérationnel ont enregistré une nouvelle augmentation, de 5,1 % entre 2016 et 2017 (après +3,3 % entre 2015 et 2016) à 17,8 milliards d’euros. Au total, depuis décembre 2013, la hausse atteint près de 18 %.
Source : ACPR
Cette réforme impactera la totalité des banques européennes. En conséquence, celles-ci devront revoir leur méthodologie de calcul des fonds propres.
Le passage à l’approche standard révisée, plus complexe, nécessitera d’identifier et d’intégrer les éléments évoqués précédemment mais également de mettre en place un nouvel outil de calcul. À l’inverse, les banques utilisant actuellement l’approche AMA possèdent déjà les informations requises et les outils de calculs permettant de répondre aux nouvelles exigences. La déclinaison opérationnelle devrait donc être beaucoup plus facile pour les grandes banques que pour celles ayant une taille plus restreinte.
La méthode ASA, un nouveau point de départ pour de nombreux établissements
L’approche standard alternative (également appelée approche standard de remplacement ou ASA), conçue pour les établissements au profil particulier notamment issus des pays émergents, peut être utilisée après autorisation préalable de l’autorité compétente par les établissements sous réserve de remplir tous les critères d’éligibilité supplémentaires (article 319 du CRR) :
– Les activités de banque de détail et de banque commerciale représentent au moins 90 % du revenu,
– Une part significative des activités de banque de détail ou de banque commerciale comprend des prêts présentant une probabilité de défaut élevée.
L’ASA permet une meilleure appréciation du risque opérationnel dans ces conditions strictes.
Un texte qui tarde à être publié
Si la date de publication formelle de la réforme n’est pas encore précisément arrêtée à aujourd’hui, la perspective d’une réforme certaine pose des questions auxquelles il est encore difficile de répondre actuellement, des facteurs dépendant autant des banques que du régulateur étant encore en suspens.
Les principaux questionnements portent sur les points suivants :
– Le régulateur imposera-t-il des seuils forfaitaires de fond propres, poussant vers le haut les calculs liés aux exigences réglementaires ? Les méthodes de calcul n’étant pas encore arrêtées, les supputations vont bon train quant à l’établissement de paliers.
– La perspective d’une nouvelle étape dans les réglementations bâloises pourrait pousser à plus de vigilance un régulateur afin de vérifier que les banques continuent bien à quantifier et qualifier leurs risques sans relâchement coupable.
Les principaux points à retenir
Avec Bâle IV se profile donc l’abandon de l’approche avancée au profit d’une approche standard pour le calcul des exigences de fonds propres en matière de risque opérationnel. Les pertes jouant un rôle majeur dans le calcul en méthode standard, on peut anticiper que les régulateurs et les établissements vont s’intéresser de plus près aux processus de collecte de données sur les pertes ainsi qu’à la qualité de ces données.
Les établissements recourant aux méthodes SMA (ou ASA) et AMA doivent remettre non seulement l’état Corep C16.00 (informations relatives aux exigences de fonds propres au titre du risque opérationnel) mais aussi les états Corep C17.01/02 (pertes brutes par ligne d’activité et types d’évènements sur l’exercice passé et évènements de pertes importants) selon des modalités (simplifiées pour les établissements ne recourant pas à l’AMA) détaillées dans les instructions accompagnant les états Corep et modifiées par le règlement d’exécution (UE) n°2017-2114 du 9 novembre 2017.
Notons que les états Corep C17 sont désormais subdivisés en deux : le C.17.01 reprend l’ancien C.17.00 tout en permettant notamment de distinguer les montants d’ajustement des pertes passées selon qu’ils soient positifs ou négatifs, et le C.17.02 permet de collecter des informations plus détaillées sur les pertes les plus importantes.
Un coût non négligeable de la réforme
Un chiffrage prévisionnel de la totalité des ajustements de régulation qui pèseront sur les banques européennes dans les années à venir a été publié en avril 2012 dans l’AGEFI.
Les établissements européens devant atteindre au minimum un ratio CET1 de 10,4%, ils devraient immobiliser 120 milliards d’euros de capital.
La fin des modèles internes de calcul des risques va impacter en priorité les banques françaises, britanniques et italiennes, qui utilisent des méthodes sophistiquées et seraient pénalisées d’un coefficient multiplicateur du risque opérationnel basé sur la taille de l’établissement.
En France et en Allemagne, les associations bancaires craignent que les banques ne soient plus à même de remplir leur mission première (ou alors seulement partiellement), à savoir assurer le financement de l’économie européenne.
C’est dans cette optique qu’elles ont déjà contacté à plusieurs reprises les deux ministres des Finances respectifs afin de faire valoir leurs modèles d’évaluation des risques et pouvoir continuer à les utiliser pour le calcul des exigences de fonds propres portant sur le risque de crédit et le risque opérationnel.
Des processus impactés par les orientations bâloises
Notons que cet ensemble de réformes présente un impact important sur les processus des grandes banques :
– Amélioration impérative de la qualité des données relatives à la décomposition du PNB.
– Transformation des processus de production des exigences de fonds propres.
– Renforcement du dispositif de suivi des pertes opérationnelles.
– Changements importants dans la stratégie business des banques et dans l’organisation de leurs équipes.
– Lourds impacts en termes d’infrastructure informatique et de gestion de données sont également anticipés.
– Adaptation de certains reportings réglementaires à produire (COREP, …).
Le report de la date de publication de la réglementation ne doit pas empêcher les établissements bancaires et financiers de se préparer dès maintenant aux adaptations de leurs processus, documentations et de leurs systèmes d’information. Ce chantier réglementaire important peut être l’occasion d’une refonte structurante du dispositif de risques opérationnels. Les experts du cabinet Harwell Management sont à votre écoute vous apporter leur savoir-faire et vous accompagner dans ce projet aux impacts autant organisationnels, fonctionnels que métiers.