BMR :
Simple réglementation ou véritable lame de fond dans le monde des taux ?
Dans le sillage des règlementations mises en place depuis la crise financière de 2008, et particulièrement à la suite du « scandale du LIBOR » de 2011-2012, ayant révélé des manipulations de ces indices par ces contributeurs, les autorités de régulation ont lancé plusieurs initiatives visant à encadrer et reformer les indices de taux. Dans l’union européenne, la règlementation Benchmarks Regulation (BMR), entrée en vigueur en 2018, s’appliquera pleinement d’ici un peu plus de deux ans. Toutefois, en dépit des profonds changements nécessaires sur le cadre juridique, en matière de gestion financière ou de relation clientèle, rares sont les acteurs du marché qui ont un plan préparant cette transition vers de nouveaux indices de référence.
Quels sont les fondements qui ont conduit à l’évolution des indices IBOR ?
Comment se préparer à cette révolution dans le monde des taux ?
Depuis les premiers travaux du Financial Security Board (FSB) de l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO) en 2013, les réformes concernant les indices de taux se multiplient sur les grandes places financières. Etats-Unis, Japon, Suisse et Royaume-Uni se sont dans un premier temps dotés de nouveaux indices de taux au jour le jour pour remplacer les IBORs existants. La zone Euro leur a emboité le pas en créant l’ESTER (Euro Short Term Rate) qui a vocation à remplacer l’EONIA et qui sera lancé fin 2019.
Un panel de raisons qui illustrent la défaillance des indices existants
Tout d’abord, une baisse des transactions interbancaires : lors de la crise de 2007, une défiance s’est installée entre les banques elles-mêmes, impactant le marché interbancaire avec une baisse des transactions et, par conséquent, un manque de liquidité pour les banques. A titre d’exemple, les volumes quotidiens de prêts à blanc au jour le jour, sans garantie prise sur l’emprunteur, sont passés de 50 milliards entre 2006 et 2007 pour ensuite diminuer progressivement jusqu’à 5 milliards en 2017.

Par ailleurs, face aux risques de responsabilités liées à une vérification plus approfondie des contributions, les banques sont devenues nettement moins disposées à contribuer aux taux interbancaires. Le panel EURIBOR est ainsi passé de 43 à 20 banques depuis 2013, et certaines banques ont cessé de contribuer au LIBOR pour certaines monnaies.
Ensuite un marché interbancaire en profonde évolution. Une concentration exacerbée du marché interbancaire, une régulation accrue des banques, les taux d’intérêt négatifs et les politiques accommodantes de la BCE ont considérablement changé l’activité sur les marchés monétaires. Les investisseurs se sont détournés des prêts en blanc au profit des opérations garanties, notamment le repo (repurchase agreement), opérations de prêts emprunts d’espèces en échange de collatéral.
Enfin une défiance s’est accrue en raison de scandales à répétition. Depuis le choc causé par l’éclatement du scandale du LIBOR en 2011, de nombreux acteurs du marché interbancaire ont vu leur réputation se dégrader.
En effet, certains établissements financiers ont admis, au début des années 2010, avoir manipulé leurs déclarations à la British Banker’s Association (BBA) lors de la crise de 2007-2008. Les taux annoncés ne représentaient ni la perception réelle du marché encore moins la valeur à laquelle la banque aurait pu emprunter en blanc sur le marché interbancaire. Les banques ne voulaient pas être celles qui révèleraient la crise de liquidité à laquelle le marché interbancaire faisait face. Déclarer des taux élevés aurait induit de montrer au marché que la banque avait des difficultés à se refinancer car sa solvabilité était remise en doute. La méthode de déclaration « à dire d’experts » aux taux IBORs n’étant pas transparente, les banques pouvaient ainsi facilement soumettre des taux plus faibles pour apparaître plus saines.
Au total, les évolutions du marché interbancaire post-crise, le montant parfois très élevé des amendes infligées aux banques (plusieurs milliards de dollars) et la perte d’image n’ont fait que refléter l’enjeu que constitue aujourd’hui une production rigoureuse et impartiale des indices financiers de taux.
Un tour d’horizon de la réforme : des changements importants et un calendrier de mise en oeuvre serré
En promulguant Benchmarks Regulation, en 2018 comme début de la période de transition, l’Union Européenne vise un quadruple objectif : encadrer les risques de conflits d’intérêts liés à la contribution sur les valeurs d’indice, garantir la fiabilité des méthodes et données utilisées, éviter le risque de manipulation de l’indice et enfin protéger le consommateur, qui peut être exposé économiquement à l’évolution d’un indice.
Pour remplir ces objectifs de transparence et de robustesse, la réglementation impose de revoir la gouvernance des indices et leurs méthodes de calcul.
L’Euro Money Markets Institute (EMMI), qui administre l’EURIBOR et l’EONIA, a estimé qu’en l’état ces indices majeurs ne satisfaisaient pas aux critères de BMR et devront donc être adaptés ou remplacés d’ici la fin de la période de transition.
Sous quel délai la mise en conformité est-elle exigée ?
Compte tenu de la révision récente du calendrier, l’EONIA et les taux EURIBOR « ancienne formule » seront donc remplacés fin 2021.
L’industrie devra conduire des chantiers majeurs avant janvier 2022 : notamment construire la liquidité sur les nouveaux indices, faire évoluer les marchés à terme basés sur ces indices, effectuer l’enregistrement des indices dans l’UE et hors UE par les administrateurs.
En quoi les futurs indices sont-ils plus robustes et fiables ?
D’une part, une revue de la méthodologie de calcul des futurs benchmarks est exigée. L’objectif premier des régulateurs est de fixer de nouvelles règles pour encadrer les méthodes de détermination des indices de référence de taux d’intérêts afin de généraliser l’utilisation de Risk-Free Rates (RFR). Certains régulateurs ne souhaitent plus utiliser les jugements « à dire d’experts » ou « estimations » dont la validité est affaiblie par la baisse de liquidité du marché sous-jacent. Ils préconisent de se baser sur les valeurs observées sur des transactions réelles d’un marché compétitif, actif et liquide (type repo…). Cette tendance est déjà observable aux États-Unis, notamment avec le taux SOFR (Secured Overnight Financing Rate), remplaçant du LIBOR USD.
En Europe, l’EMMI a renoncé à réformer l’EONIA, qui sera remplacé par l’ESTER proposé par la BCE. Le calcul de l’ESTER sera basé sur le taux des opérations d’emprunt en blanc au jour le jour conclues entre 52 établissements bancaires de la zone euro, pondérées par les volumes. La méthode calculera la moyenne des taux sur 50 % des transactions en retirant les queues de distribution (25% des taux d’intérêts les plus faibles et 25% des plus élevés). En ce qui concerne la courbe des taux EURIBOR, les groupes de travail, dont les réflexions n’ont pas encore abouti, souhaitent appliquer une méthode dite « hybride ». Cette méthode, préconisée par l’EMMI, repose toujours sur le marché interbancaire d’emprunt en blanc mais aussi sur les taux de transactions réelles (par maturité).
D’autre part, les autorités mettent en place un meilleur encadrement des indices de référence pour garantir une plus grande transparence.
BMR définit trois catégories d’indices de référence (critique, significative et non-significative) répondant à des critères d’éligibilité : volumétrie des positions et crédits indexés sur l’indice en question, existence d’un indice de substitution, intégrité des données.
Par ailleurs, BMR distingue trois acteurs : les administrateurs, qui encadrent la contribution et sont garants de la conformité des indices publiés à la nouvelle réglementation. Les contributeurs quant à eux, fournissent les données contribuant au calcul de l’indice et enfin les utilisateurs qui émettent des instruments financiers s’appuyant sur un ou plusieurs indices, ou bien se servant de ceux-ci pour mesurer la performance d’un fonds, proposer un taux d’emprunt, etc.
En terme de gouvernance, les indices étaient gérés par la profession bancaire (BBA, FBE…), sans autorité de tutelle du gestionnaire d’indices ni de contribution d’experts et avec des règles déontologiques libres. Depuis peu, il y a eu une mise sous tutelle pré-BMR de certains indices de référence et la désignation d’administrateurs (EMMI, ICE).
Un tour d’horizon 360 des impacts auxquels il faudrait s’attendre
Le remplacement des taux existants nécessite une analyse détaillée des impacts. A minima ils seront d’ordre juridique, liés aux systèmes d’information, aux modèles de valorisation, à la gestion de la couverture et structure ALM et plus généralement ils toucheront la clientèle professionnelle et retail ainsi que les produits.

… et les actions à entreprendre, d’ores et déjà, afin de les limiter
Il s’agira en premier lieu d’avoir un programme d’inventaire des produits et des processus utilisant les indices IBOR sur l’ensemble de la chaîne front-to-back afin d’évaluer l’impact de la transition en termes opérationnels et IT.
Le traitement des aspects juridiques d’une part et la communication en interne et en externe vis-à-vis de la clientèle d’autre part seront essentiels pour mener à bien un tel chantier de transition.
Ensuite, il faudra se préparer à traiter sur les nouveaux indices, réfléchir aux stratégies de migration, des contrats, des données… Et à établir un playbook de la phase de transition.
Par construction, les nouveaux taux interbancaires au jour le jour et sur les différentes maturités seront plus fiables, moins manipulables et plus robustes que les anciens IBOR.
Le trésorier, opérateur de marché, gérant qui souhaite anticiper avec sérénité ses impacts sur sa gestion des risques, ses systèmes d’information, sa comptabilité et ses contrats juridiques, doit avant tout estimer son exposition. Il pourra ensuite mettre en place un plan de transition dans l’ensemble de son organisation et commencer à utiliser les nouveaux indices.
Pour mieux aborder cette transition, Harwell Management vous propose des niveaux d’intervention en fonction de votre degré d’avancement : une étude d’impact axée sur le scope des contrats indexés sur l’IBOR, un pilotage allant de la gouvernance, au suivi des chantiers jusqu’à l’implémentation du processus de transition.