Réglementation EMIR
Collatéralisation, liquidité, quel futur pour les contrats dérivés de gré à gré?
La crise de 2008 a mis en lumière les montants colossaux des transactions de gré à gré sur les produits dérivés ainsi que les conséquences de garanties insuffisantes en cas de défaut de la contrepartie. Depuis 2012, le règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) vient encadrer les contrats OTC. Le point clé de cette mesure est la généralisation de l’utilisation du collatéral.
Les principales mesures du règlement EMIR
Les premiers textes de la Commission Européenne imposant l’obligation de passer par une chambre de compensation ont été adoptés le 6 août 2015. Ce sont les dérivés de taux qui sont concernés par cette première vague de règlements délégués. Ces nouvelles obligations seront mises en place d’ici trois ans de façon progressive selon les acteurs concernés. Les fonds de pension par exemple ont jusqu’en 2017 pour répondre aux exigences.
Les chambres de compensations centrales, appelées aussi courtiers compensateurs, sont le fondement d’EMIR. Elles se substituent à la contrepartie et assument le risque de défaut. Dans ce cadre, leur rôle consiste à calculer et collecter le collatéral qui est une garantie contre le risque de défaillance de la contrepartie.
L’autre nouveauté est que le collatéral de chaque client est calculé individuellement et enregistré dans des comptes ségrégués et non plus des comptes omnibus comme cela était le cas auparavant. Ainsi, le collatéral d’un client A ne peut couvrir que les positions du client A. Si la couverture du client diminue, l’excédent du collatéral doit être retourné au client en question.
Ces nouvelles réglementations ont pour conséquence une forte augmentation des besoins en collatéral. Le comité sur le système financier mondial estime que la demande de collatéral devrait accroître de quelque 4 000 milliards de dollars.
Une mise en place complexe et coûteuse
Trois enjeux principaux pour les acteurs financiers en particulier pour les fonds d’investissement alternatifs, les prime-brokers et les chambres de compensation:
– La solidité des chambres de compensation: La bonne sélection des CCP recouvre un enjeu important. En effet, le risque systémique lié au marché des dérivés était précédemment partagé par plusieurs acteurs ; aujourd’hui, il se trouve concentré chez quelques acteurs sélectionnés. Si leur solidité était mal évaluée, cela pourrait entraîner une crise profonde.
– Les coûts de la mesure: Les nouvelles contraintes imposées auront pour effet l’augmentation des appels de marges, ce qui entrainera l’augmentation du coût opérationnel du collatéral. La multiplication des passages par les chambres de compensation, la gestion des comptes ségrégués, la constitution d’un collatéral, les transactions exécutées par le clearing broker, le reporting obligatoire, la mise en place des systèmes ont également un coût très élevé pour le secteur.
– Une liquidité insuffisante: La gestion des appels de marges provoque une augmentation considérable des besoins en liquidité. S’ajoute à cela la problématique des titres éligibles, dont les besoins sont de plus en plus importants. Ceux-ci étant plus rares et plus couteux, les gestionnaires ont recours au cash pour le paiement du collatéral. Cela est d’autant plus vrai qu’EMIR interdit la réutilisation des titres mis en garantie à savoir la « rehypothecation » qui était un moyen de financement sur ce marché.
Impacts & challenges pour les acteurs bancaires et financiers:
Ce nouveau contexte impose réactivité et précision. Les acteurs doivent, ainsi, revoir leurs modèles de gestion et de valorisation du collatéral. Il s’agit d’optimiser la gestion en qualité et en quantité.
Les impacts porteront principalement sur le mode de calcul, qui comprend les trois éléments suivants:
– Evaluation des produits OTC
– Calcul de l’appel de marge d’un portefeuille
– Transformation du collatéral.
L’évaluation rapide, précise et systématique des produits dérivés traités de gré à gré permettra de limiter les risques et de réduire les besoins en collatéral des CCP mais aussi des contreparties. Néanmoins, l’offre en produits structurés a explosé ces dernières années et les contreparties peuvent ne pas disposer ni de la capacité ni de la connaissance technique pour pouvoir évaluer ces produits. Cette situation a favorisé le développement de prestations indépendantes permettant de vérifier les valorisations. La difficulté est, pour les petites et moyennes structures, de bien choisir le prestataire de service. Une liste non-exhaustive, quant aux critères que doit remplir ce genre de prestataire : expérience, réputation & transparence.
Ensuite, l’appel de marge d’un portefeuille ou « Portfolio Margining », permettra de consolider les positions par portefeuille de façon à connaître les expositions totales et de procéder ainsi à des compensations permettant de réduire les besoins en collatéral pour un portefeuille donné. Ceci pourrait être une autre solution pour l’industrie, afin de s’adapter aux nouveaux prérequis.
Enfin, la transformation du collatéral sera cruciale en tant qu’elle permet d’échanger une forme de collatéral inadapté à une opération donnée contre une autre forme éligible. En raison de contraintes de liquidité ou de risque de crédit, cette transformation peut se faire sous différentes formes: « Stock Lending » ou des transactions repo par exemple.
L’augmentation des volumes des collatéraux traités représente aussi un grand défi opérationnel. Outre les possibilités d’une gestion centralisée ou pas du collatéral, il sera nécessaire de garder l’historique des transactions et de faire un suivi afin de réaliser une analyse pertinente. C’est, en effet, un outil important de gestion du risque, souvent ignoré. Il permet entre autres l’identification des positions à risque présentant d’importants appels de marges, qui peuvent être difficiles à satisfaire.
L’industrie travaille en ce moment sur une initiative de standards pour les reportings des produits dérivés OTC afin d’avoir une harmonisation et donc des vérifications plus simples et exactes. Pour le moment, les solutions proposées sur le marché ne sont pas satisfaisantes car souvent partielles et incomplètes.
La communication entre les intervenants au niveau des différentes plateformes utilisées a également besoin d’être standardisée afin de limiter les risques opérationnels. En particulier, standardiser les messages, que ce soit pour la communication ou le règlement des appels de marges, devient crucial compte tenu de la multiplicité des intervenants et l’importance des volumes échangés.
Conclusion :
L’augmentation des besoins de collatéral représente un grand défi pour l’industrie financière. Les acteurs sont amenés à adapter rapidement leurs méthodes de gestion afin d’optimiser l’utilisation du gisement de collatéral existant. La pénurie de titres éligibles et l’augmentation en besoins de collatéral pousseront probablement certains gestionnaires à diminuer l’utilisation de produits dérivés afin de diminuer l’impact sur la performance du portefeuille. A contrario, ceci peut aussi amener le marché à se réinventer en innovant, en développant des issues pour élargir le gisement. L’une des solutions possibles est la titrisation des créances aux entreprises. Cette démarche est encouragée par la Banque de France. Reste à savoir si ce mécanisme respectera cette fois les règles de sûreté et de transparence ou s’il sera encore une fois à la source d’une nouvelle crise bancaire ?
Article proposé par :
Anis FNAIECH, Consultant Bewell Consulting
