EMIR & « Too Big To Fail »

EMIR, ou la création de nouveaux acteurs « Too Big To Fail » ?

Contexte

Suite à la crise financière qui a secoué le monde à la fin de la première décennie des années 2000, les dirigeants politiques réunis à Pittsburgh en septembre 2009 décidèrent de prendre une série de mesures dans le cadre de la stabilisation du marché financier. Ainsi, il émana de cette décision des nouvelles dispositions telles qu’EMIR (European Market Infrastructure Regulation) ou son pendant américain « Dodd-Franck Act » afin de réglementer le marché des produits dérivés de gré à gré dont certains, en premier les dérivés de crédit, furent à l’origine de la crise financière de 2008. L’objectif étant de rendre ces produits et ces activités plus sûrs, transparents ainsi que veiller à leur standardisation.

Selon les estimations de la Banque des règlements internationaux , émanation de la Banque Mondiale, datant de 2012 les montants concernant ce type de transaction avoisinent les 25 000 milliards de dollars dont 4 000 milliards s’effectuèrent sans la moindre garantie de type collatéral.

Enjeux

La régulation Emir fut adoptée par le Parlement et le Conseil européen le 4 juillet 2012 pour une implémentation débutant le 15 mars 2013. Ce nouveau règlement européen référencé sous le numéro 648/2012 induira trois types de conséquences majeures dans le cadre d’échange de ces produits dérivés de gré à gré.

Premièrement, il s’agira pour les contreparties, financières ou non financières, de recourir au service d’une chambre de compensation centrale (CCP) qui sera ainsi la seule responsable du risque de contrepartie en cas de défaillance de l’une des parties prenantes dans la transaction. Ce rôle des CCP sera encadré par des normes juridiques communes au niveau européen afin de s’assurer que ces acteurs répondent de manière adéquates à leurs nouvelles responsabilités en termes financiers, organisationnels ainsi qu’éthique.

Deuxièmement, un second acteur apparaîtra dans le cadre de ces transactions, à savoir les référentiels centraux, dit « Trade Repositories », dont la tâche sera d’être le point de convergence de tous les reportings des acteurs ayant pris part à une transaction de dérivé. L’objectif étant de suivre de manière plus précise ces échanges dont la valeur atteint des montants particulièrement élevés. Ainsi, il sera plus aisé de déterminer et de déceler les potentiels risques de contrepartie sur ces marchés par la prise en compte des collatérals de tels ou tels acteurs. De plus, ce genre de transaction devant passer par une CCP, les conditions contractuelles seront plus transparentes (n’étant plus de gré à gré) cela permettant de monitorer de manière plus adéquates les risques de contreparties en raison de la défaillance d’une des parties prenantes. Toute création d’un nouveau contrat entre deux acteurs répondant aux critères EMIR ainsi que toute modification d’un contrat existant répondant à ces mêmes conditions doit faire l’objet d’un reporting dans les 24 heures au sein d’un référentiel central agréé par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA).

Finalement, la conséquence des deux mesures précédentes sera la mitigation du risque de contreparties puisque d’une part les CCP en assumeront la responsabilité (elles auront aussi pour tâche de valoriser les collaterals déposés par leurs membres), et d’autre part les référentiels centraux feront office de « gardien » des transactions pour tous les acteurs puisque c’est au sein de ces nouvelles infrastructures que convergeront toutes les transactions liées à des produits dérivés peu importe la CCP et les acteurs en présence.

Dates butoirs et obligations EMIR

Timing EMIR Obligation Counterparties
15 March 2013 Notification to national competent authority(ies) + ESMA NFCs (on first day they exceed clearing threshold) and NFC+s (when 30 working day rolling average no longer exceeds clearing threshold)
15 March 2013 Timely confirmation of noncleared OTC derivatives All EU derivatives market participants (more lenient requirements for NFC-s)
15 March 2013 Daily mark-to-market/model valuation of non-cleared OTC derivatives FCs and NFC+s
15 September 2013 Dispute resolution, portfolio reconciliation and portfolio compression of non-cleared OTC derivatives All EU derivatives market participants (more lenient requirements for NFC-s)
12 February 2014 Reporting of OTC derivatives (including retrospectively) to registered trade repository All EU derivatives market participants
11 August 2014 Reporting of collateral and daily mark-to-market valuations to registered trade repository FCs and NFC+s
Second half of 2014 (likely) Clearing of certain OTC derivatives FCs (only if derivative is with another FC) – except pension funds
Phased-in from 1 December 2015 (likely) Collateral exchange for noncleared OTC derivatives FCs and NFC+s
2015 (or 2017/2018?) Clearing of certain OTC derivatives Pension funds
Summer 2015-2017(?) Clearing of certain OTC derivatives by systemically important non-financial counterparties NFC+s (if derivative is with FCs or other NFC+s)

Source : Linklaters

Problématique et définition

La problématique de cette nouvelle réglementation sera d’implémenter un système fiable et centralisé dans des délais raisonnables, à l’horizon 2019, pouvant permettre le suivi des acteurs présents sur le territoire de l’Union européenne au sein du marché des dérivés de gré à gré. Entre temps, il est vrai que différents jalons de la directive furent déjà atteints tels que les confirmations de transactions (à émettre dans un délai contraint) ou encore la classification des contreparties en mars 2013, ainsi que la réconciliation et la compression des portefeuilles effective depuis septembre 2013

Néanmoins, à la lueur des exigences requises (liquidité par la mise à disposition de collatéral facilement valorisable, reporting dans les 24 heures et échéance actuelle à savoir l’obligation au troisième trimestre 2015 de commencer à passer par une CCP avec une date d’implémentation intégrale pour fin 2018), il s’avère que des structures ont déjà exprimées des doutes quant à l’implémentation dans les temps de cette réglementation. En conséquent, la Commission européenne a permis en février 2015 aux dispositifs de régime de retraite à l’instar des fonds de pensions d’obtenir une dérogation de trois ans quant à l’implémentation de la réglementation EMIR en raison de la nature des actifs qu’ils ont sous gestion. En effet, ces fonds de pension sont généralement gérant d’actifs peu liquides comme des valeurs mobilières qui les empêchent à court terme d’avoir à disposition des actifs dont la liquidité est plus importante étant sous pression des marges qu’elles doivent générer. Cela conduit donc à une limitation pour ces entités de l’opportunité de pouvoir passer des transactions sur des produits dérivés.

Quoiqu’il arrive, cette réglementation devant avancer bon gré mal gré, la décision à venir en cette année 2015 sera le début de l’implémentation des CCP qui devront débuter leur tâche de contreparties des transactions et de valorisation des collatérals pour les autres acteurs indépendamment des difficultés d’évaluation des actifs peu liquides des fonds de pensions. Comme précisé précédemment, les tâches de clearing débuteront au troisième trimestre 2015 et devront être totalement implémentées pour fin de l’année 2018.

Impacts pour les acteurs bancaires et financiers

Au sein du secteur bancaire, cette disposition devra être traduite par une meilleure classification des produits dérivés afin de déterminer précisément lesquels tombent sous la législation EMIR. Il ne va pas sans dire que les institutions bancaires implémentant cette législation de manière partielle pourront faire l’objet dans le pire des cas de sanctions financières allant jusqu’à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits réalisés sur ces transactions selon le code monétaire et financier (Article L621-15). Une telle activité de leurs produits financiers induira un coût de développement permettant de faire un lien direct entre toutes transactions sur des produits dérivés avec les CCP automatiquement via les systèmes d’informations adéquats. Ce coût reste à estimer pour l’heure mais sans nul doute des synergies peuvent exister avec les systèmes existants déjà connectés à des CCP. C’est une opportunité pour des entités telles que SWIFT qui offrent déjà ce genre de service entre CCP et les institutions financières. En effet, SWIFT connecte déjà une série d’institutions financières dans le cadre de transactions entre deux contreparties clientes de banques différentes passant par les services de clearer. En conséquence, la capitalisation sur ce système existant permettrait à SWIFT d’accroître largement ses services à ses clients.

De plus, nous pouvons nous interroger sur l’opportunité pour les groupes bancaires d’affronter autant que possible les CCP ainsi que les référentiels centraux en tant que pool afin de créer des synergies lors de négociations potentielles. Ou encore sur la possibilité de choisir des CCP spécialisées dans des transactions spécifiques minimisant ainsi leurs coûts.

Ainsi, est-ce le cas de chambres de compensation telles que Eurex Cleaning spécialisé dans les obligations, ou encore LCH.Clearnet qui est principalement actif dans les commodities et le fret ?L’éventualité de CCP spécialisées reste à investiguer mais il s’agira pour les institutions financières de faire jouer la concurrence afin de minimiser les coûts de connexion.

Finalement, les contraintes de liquidité lié à la mise à disposition de collaterals de qualité viendra s’ajouter à d’autres contraintes de liquidité liées, par exemple, Bâle III exigeant des banques qu’elles possèdent des titres facilement quantifiable afin de couvrir leur passif.

Zoom sur les CCP

L’une des difficultés des CCP sera l’estimation des collatérals proposés par les différentes parties contractuelles puisque l’une des exigences de cette régulation EMIR est la haute liquidité des collatérals mis à disposition des CCP. Cela s’explique par la prise du risque de contrepartie par les chambres de compensation qui doivent avoir à disposition de tels actifs pour compenser le désengagement d’une ou des parties prenantes de la transaction. Certains analystes prédirent une difficulté pour les contreparties de trouver des produits à liquidité suffisante suite au déclassement d’une série d’entre eux en réponse à la dernière crise financière à l’instar de la titrisation des crédits hypothécaires ou des obligations souveraines de certains Etats européens.

Néanmoins, nous pensons que cette hypothèse devrait être tempérée à la lueur des facilités monétaires accordées aux banques et autres institutions financières durant ces dernières années au sein du marché outre-Atlantique grâce au « QuantitiveEasing » de la « Federal Reserve » américaine qui, il est vrai, touche tout doucement à sa fin mais dont le pendant européen sous la houlette de la Banque centrale européenne est toujours en cours. Ces facilités sont estimées à 60 milliards d’euros mensuel ayant débuté en janvier 2015 et devant prendre fin en septembre 2016. Comme nous le savons, il n’y a rien de plus liquide que cette monnaie mise à disposition des marchés qui pourront donc facilité sa prise en considération comme collatéral au sein des chambres de compensation. Même s’il est vrai qu’il existe un coût d’opportunité au placement de ses fonds mais pour l’heure la rentabilité du marché bancaire reste relativement faible par rapport aux gains qui pourraient être attendus par un contrat sur les produits dérivés de gré à gré.

Face à ces nouvelles liquidités mises à leur disposition et en dépit de cadre législatif existant, la difficulté pour ces CCP sera de gérer ces fonds de manière sereine et sans écart quant aux placements à très court terme qui leur sont déjà possibles d’effectuer afin d’éviter des placements hasardeux, même à très court terme, et l’impression d’être devenu des entités « too big to fail ».

Conclusion

L’apparition de deux nouveaux acteurs sur le marché des produits dérivés de gré à gré à savoir les CCP et les référentiels centraux, induira une nouvelle façon de traiter ces produits. A court terme, il s’agira pour les entités bancaires de trouver les CCP adéquates pour chaque type de transaction quitte à s’entendre avec d’autres entités bancaires en amont sur la ou les CCP à sélectionner afin de réduire leur coût pour chacune de ces transactions. De plus, il faudra sans nul doute revoir l’organisation des back office au-delà des process internes en scindant d’une part les équipes faisant le lien avec les CCP pour les transactions tombant sous la directive EMIR des équipes pouvant toujours menées des transactions en bilatéral.

A plus long terme, la problématique de la surenchère des législations internationales devra être remédiée par des traités internationaux qui auront l’avantage d’homogénéiser les règles mais dont la création sera sans nul doute le fruit de multiples négociations qui seront à la fois lentes et ardues à l’instar des comités de Bâle.

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